Nous avons déjà eu ici l’occasion de saluer la générosité et le désintéressement du canard pour son apport à la cuisine vietnamienne. Mais nous avons omis de signaler sa remarquable prestation dans un des creusets de la street food vietnamienne. Le quartier de Cholon, en plein Chinatown saïgonnais, est probablement le lieu parfait pour déguster un Mi Vit Tiem, comprenez : des nouilles au canard.
Mi Vit Tiem fait partie de ces plats indissociables d’un certain espace-temps, comme ces parfums qui restent à flotter dans l’air, bien longtemps après le passage de quelque beauté sombre et fatale. Il y a du mystérieux, du capiteux et une certaine curiosité dubitative devant ce modeste bol : un bouillon d’un noir intense, un morceau de canard doré et croustillant et ces parfums épicés, herbeux, qui ne sont pas sans rappeler les effluves s’échappant des pharmacies traditionnelles de Cho Lon. Et pour cause… On apprendra que le bouillon est préparé avec des herbes médicinales chinoises… On me dit que ça n’a rien à voir avec le Ga Tan de Hanoi. Nous voilà parti pour un safari gustatif.
Cho Lon, littéralement, veut dire «grand marché». Si de nos jours ces deux syllabes sont synonymes de Chinatown saïgonais et de marché de Binh Tay, autrefois, ici, c’était juste un petit village en périphérie de Sai Gon. Village qui se transforma en ville à la fin des années 1770 sous l’impulsion des minorités chinoises de Bien Hoa (une localité située au nord de Saïgon). Ces Hoa étaient originaires du Sud-Ouest de la Chine. Ils ont développé ici un commerce florissant de riz, tirant parti de la situation géographique du site : au bord d’un arroyo qui permettait à de nombreuses embarcations de décharger fruits, légumes et riz en provenance du Delta du Mékong.
Sous le régime colonial français, Saigon se développe comme une « perle de l’Orient », Cho Lon – alors bourgade à une dizaine de kilomètres de la ville – avait le statut de ville. Grandissant jusqu’à venir chatouiller la proche banlieue de Saigon, elle fusionnera avec cette dernière en 1930 et prendra le nom de Saigon-Cholon, sorte de ville chinoise en avant-poste stratégique aux portes du delta du Sud et ses richesses. Pour preuve, dès 1920, un riche homme d’affaire met pas mal d’argent sur la table pour créer ce qui allait devenir l’immense marché de Binh Tay. Ce Monsieur Guoyan, plus connu sous le nom de Quach Dam est aujourd’hui vénéré sur un autel dans la cour intérieure du marché de Binh Tay. Mais Cholon sous les Français, c’était aussi le quartier où on venait s’encanailler dans les dancings, les cabarets, les fumeries d’opium ou au casino «Le Grand Monde ». En 1948, le Grand Monde c’était le plus vaste établissement de jeux dans le monde dirigé par un certain Bay Vien, considéré comme le maître de Cholon, dont l’écrivain Lucien Bodard brosse un portrait saisissant dans son œuvre sur la guerre d’Indochine. Cholon-Saigon servira également de décor pour certaines scènes du film l’Amant de Jean Jacques Annaud. D’ailleurs, le côté capiteux du notre Mi Vit Tiem évoque de façon troublante cette ambiance d’époque – certainement bien malgré lui, on lui pardonnera volontiers.
C’est donc dans ce décor pour le moins exotique et très chinois que notre canard se serait amouraché de nouilles parfumées d’herbes tout à fait légales, a priori. Eh bien… Il semblerait que non. Certains anciens affirment haut et fort que ce plat n’est absolument pas chinois mais qu’il vient de… Hai Phong ! Stupeur et tremblements, notre safari culinaire prend un cap bien étrange. Aux dires de Duong Tri An, descendant d'un chinois de Canton qui vendait des nouilles au canard Hai Ky avant la libération (entendez : avant 1975), "il n'y a pas de tel plat en Chine". Selon lui, son grand-père avait un très célèbre magasin de nouilles au canard à La Cai (maintenant rue Nguyen Tri Phuong) avant la libération. Depuis toujours, La Cai est réputé pour ses nouilles de canard mijotées aux herbes médicinales traditionnelle chinoise. Et An de confier que selon son grand-père, le premier homme à vendre des nouilles au canard à Saigon était un homme de Hai Phong, et ensuite son grand-père a lui aussi commencé à vendre Mi Vit Tiem. La boutique existe toujours, rue Nguyen Trai, si l’envie vous pousse…
An de préciser qu’il ne faut absolument pas confondre avec les nouilles au poulet (suivez mon regard en direction de Hanoi…). Dans Mi vit tiem, il y a 4 ou 5 herbes traditionnelles dont une prononcée "ba-coong" en chinois. Et d’autres ingrédients dont l’anis étoilée et l’écorce de mandarine sont les plus facilement identifiables. Le canard est légèrement frit puis placé dans une casserole de bouillon avec des os et ces herbes jusqu'à ce qu'il soit tendre. Et les nouilles aussi sont différentes, mon brave monsieur. Normalement, on les fait soi-même, avec de la bonne farine et un mélange de deux types d’œufs (poule et canard). Et d’insister : ce plat est resté à Saigon depuis tout ce temps. Contrairement à d’autres préparations qui ont migré vers le Centre voire même jusqu’au Nord (ce qui m’a fait penser notamment aux banh xeo et autres bun rieu cua), mi vit tiem n’a pas bougé de gargote.
Ce plat a la réputation d’être (très) long et (très) compliqué à préparer, avec des ingrédients qu’on dirait trouvés dans la cuisine de Harry Potter. Alors peu de gens le cuisinent à la maison, préférant aller au restaurant, bien que le prix soit nettement plus élevé que pour un plat courant.
Mais nous arrivons en période de fêtes de Noel et de fin d’année pour certains d’entre vous, chers lecteurs gourmands ; tentons de préparer – modestement – un Mi Vit Tiem, comme là-bas, dans la plus pure tradition asiatique : bon à manger, bon pour la santé.
Je n’imagine pas vous surprendre en vous précisant que la base est ici du canard (consentant, il va de soi). Comptez une cuisse de canard entière pour chaque bol de nouilles. Si vous avez aussi des os ou des cous de ladite bestiole, c'est encore mieux. Ajoutez-les au bouillon pour une saveur intense. Comme déjà expliqué pour d’autres recettes à base de canard, ici, on aime bien le frotter vigoureusement avec de la purée de gingembre et un peu d’alcool de riz. Cela a pour effet d’ôter cette odeur de poisson suspecte qu’il a le mauvais goût de coltiner avec lui.
Je vous ai choisi des ingrédients faciles à trouver (pas besoin d’engager un détective privé pour qu’il vous débusque la ruelle sombre qui abrite la boutique glauque aux senteurs décidément trop exotiques/suspectes/ca sent quoi ? rayez la mention inutile – N.B. : la ruelle, c’est du vécu pour mon premier ga tan, à Ha Noi).
Pour ce qui est des épices et aromates : ail, échalotes, oignon, gingembre, cinq épices, champignons shiitake séchés, anis étoilé, gousse de cardamome noire, graines de coriandre (ou racines ou tiges de coriandre fraîche). Ou faites court et moins « traditionnel » avec les ingrédients donnés ci-dessous. Idem pour les soi-disant herbes médicinales chinoises : soit vous vous en tenez aux mêmes ingrédients ci-dessous, soit vous optez pour 8 dattes rouges et 1 cuillère à soupe 1/2 de baies de goji. L’idée étant de cuisiner et (se) faire plaisir, pas de singer Merlin l’Enchanteur (vous savez où en trouver, vous, de la racine de rehmannia - dia hoang, en vietnamien ?).
Dernier détail : pour les nouilles, prenez des nouilles jaunes à base de blé, ou de style ramen si vous préférez. Mais ne prenez pas de nouilles de riz, ça ne marche pas du tout avec cette recette.
Ingrédients
500 g de canard (poitrine ou cuisse)
300 g d'os de porc
80 g de champignons shiitake
5 gousses d'ail, pelées
3 échalotes, pelées
30 g d'herbes (girofle, badiane, écorce de cannelle, réglisse)
300 g de bok choy
1 morceau de gingembre (de la taille d’un pouce)
Nouilles aux œufs.
Etapes
Faire mariner le canard puis le griller
Déposez la viande dans un grand bol, ajoutez 60 ml de sauce soja, 20 g de 5 épices, ail et échalotes écrasés, 60 g de sucre, 5 g de poivre moulu, mélangez bien et laissez mariner pendant environ 30 minutes, si possible au frais. Une fois marinée, mettre la viande à griller (au four, peau vers le haut), jusqu’à ce que la peau boursoufle un peu et prenne un bronzage séduisant et tacheté (10 mn env.)
On fait mijoter
Mettre à bouillir les os de porc (bien nettoyés et ébouillantés avant, pour ôter l’odeur). Pendant ce temps, passez au nettoyage du chou, réhydratez les champignons et émincez-les. C’est aussi le moment de mettre à tremper les baies de goji, si vous avez choisi cette option.
Astuce gourmande
Faites légèrement torréfier vos herbes (clous de girofle, la cannelle, l'anis étoilé, la réglisse et le gingembre tranché).
Il est temps de laisser mijoter la viande dans le bouillon (eau + herbes torréfiées), pendant 80 à 90 minutes. La viande doit être tendre, si c’est des cuisses, elle doit facilement se détacher de l’os. Pensez à écumer le gras pendant la cuisson. A environ 45 minutes de cuisson, retirez ls os et les herbes. Laissez la viande s’attendrir doucement, couvercle de travers. Goûtez le bouillon et ajoutez du sucre candi au goût (ou de l’eau de coco) et ajustez les assaisonnements à votre convenance. Si trop de liquide est perdu pendant la cuisson, vous pouvez rajouter un peu d'eau.
Astuce qui ne sert à rien
Certains restaurants de Cholon retirent la viande dès qu’elle est à point, la sèchent, puis lui donnent un sérieux coup de chaud, histoire de dire : la peau est bien croustillante. A vous de voir…
Astuce qui sert à quelque chose
En fin de mijotage, ajoutez amoureusement 20 ml de sauce soja, 20 g de 5 épices, 20 g de sucre et remuez bien.
Mettre à cuire les légumes
En l’occurrence, mettre le chou dans la casserole et le laisser cuire tout en lui gardant un peu croquant.
Etape finale
Disposer les nouilles au fond d’un bol. Puis disposez alternativement la viande de canard, les champignons shiitake et le bok choy sur les nouilles et versez le bouillon par-dessus. Ceux qui aiment peuvent donner un tour de moulin de poivre noir. Soyez fou : saupoudrez d'oignons verts et de coriandre sur le dessus !
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