Vivre dans la rue au Vietnam

En cette période de fêtes de fin d'année où on est sensé être plus en empathie avec nos semblables, à l'heure où la France n'a jamais connu autant de pauvres à la rue, le titre peut paraitre un rien provoc'. Mais qu'on ne se méprenne pas, vivre dans la rue, ici au Vietnam, relève d'un véritable mode de vie, d'une philosophie de l'existence qui bouleverse plus d'un voyageur, faites- vous alors un circuit au Vietnam, vous allez vivre une de ces expériences inoubliables.

En France, il y a les terrasses des bars, parfois une placette ombragée avec sa petite fontaine, les rues savent prendre le temps d'un café ou d'une bière bien fraiche, selon l'heure de la journée. Mais allez faire un tour au Japon, et vous verrez que les rues, c'est utile. Uniquement ça : c'est fait pour aller d'un point A à un point B, dans un environnement hyper-propre, limite aseptisé.

Au Vietnam, la rue est un espace. Un espace exposé à une clientèle quasi infinie et ne pas l’exploiter tiendrait presque de l’inconvenance. La rue appartient aux habitants (et aux motos).
La notion d'espace personnel ayant une toute autre conception qu'en Europe, il est tout à fait courant qu'en ville, les maisons soient ouvertes sur la rue. Le passant français qui vient de sa bourgade campagnarde est mal à l'aise de pénétrer ainsi dans l'intimité d'une famille… D'ailleurs, la vie de la maisonnée se prolonge dans la rue. On y papote – parfois vêtu d'un simple pyjama, on y mange, on s'y attarde. On y vit. On y meurt, aussi.

La frontière "vie publique/vie privée" n'a absolument pas les mêmes contours en France qu'au Vietnam ce qui – les premiers temps – peut choquer certains touristes. Puis on s'y fait. Sauf peut-être au karaoké, qui est un défi de convivialité sonore quasi impossible à relever pour un occidental.

Un autre trait révélateur de l'esprit vietnamien, c'est la conduite. Cauchemar de l'européen qui débarque à Ho Chi Minh ou à Hanoi, l'anarchie apparente des deux roues en mouvement provoque inévitablement une crise de panique chez celui qui n'est pas habitué. Les deux-roues ont beau rouler tous sur la même voie (et souvent sur le trottoir à contre-sens) sans ordre apparent, on a l’impression que leurs conducteurs sont capables de percevoir ce qui les entoure tout en se percevant eux-mêmes au milieu des autres, et de s’adapter à la situation et aux réactions des autres. Ce qui change radicalement de la conduite française, pour ne parler que d'elle, résolument ego-centrée, arrogante et râleuse.

Mais revenons à nos moutons. La rue vit et on vit dans la rue. Florilège :

Vive la street food !

En vertu de ce qu'on vient de dire, vous trouverez de petits restaurants situés au rez-de-chaussée d'une habitation, sous la protection de l'autel aux ancêtres de la famille. Mais c'est dans la rue que vous aurez le plus de surprises gustatives et incroyables ! Sans électricité, avec un simple pot de terre rempli de charbon, on vous préparera pho, bun cha, bo la lot et autres banh xeo délicieux et à prix imbattables. Idem pour les boissons improbables, rafraichissantes et aromatiques ou les cafés : il y aura toujours une petite moto tractant un mini stand, souvent annoncé par un haut-parleur nasillard ou une clochette…

Et son corollaire : faire la vaisselle

Il n’est pas rare de voir le personnel faire la vaisselle dans la rue une fois le service terminé.

Réparation pneu / gonflage : 

La moto est reine et tout est fait pour son bon fonctionnement. C’est souvent aux croisements des grandes avenues que l’on peut apercevoir des compresseurs et des kits complets (comprenez un petit réchaud au charbon pour la vulcanisation de votre chambre à air : oui, on répare, on ne gaspille pas en jetant/remplaçant) pour réparer un pneu à plat. Pas besoin d'enseigne : un pneu emballé dans du papier coloré et posé à même le trottoir vous indiquera où vous arrêter.

Serrurerie :

Dans la rue des coffres fort (oui ça existe, le Vietnam est un pays essentiellement de cash), vous pourrez trouver des serruriers qui vous feront des doubles en pleine rue. Ils disposent de tout le matériel. Les machines fonctionnent à l’huile de coude ou sont branchées sur de petites batteries.

Réparation de chaussures ou objets en cuir :

Pas de problème. On vous propose des tongs de remplacement pendant l’opération. C'est encore courant de se voir proposer un cirage de chaussures alors que vous prenez un café…

Coiffeur :

Il fait chaud et une petite coupe serait la bienvenue ? Prenez le trottoir d’en face : un coiffeur vient justement d’y monter son échoppe. Vous aurez même droit à un nettoyage des oreilles. Si,si. Bon, c'est vrai, ça ne fonctionne que pour les hommes. Ces dames devront s'enfermer dans un espace coiffure plus conventionnel…

Célébration mortuaire :

Souvent beaucoup de monde vient présenter ses condoléances ou prier pour le mort. Une petite tonnelle est alors montée dans la rue. Les célébrations sont quasi publiques. Les tables débordent du trottoir pour envahir la rue, il y a les chants, il y a les moines, les voisins, les amis…

Vous le comprenez : l’important dans les rues du Vietnam, c'est à quel point elles peuvent certes, avoir une fonction économique, marchande, mais surtout sociale. Les gens s’y croisent, s’y parlent, y vivent véritablement. Le mot "artère" pour désigner la rue n'a jamais été aussi approprié ici, tant elles diffusent la vie et irriguent l'âme du Vietnam.

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